Automne parisien – Impressions


 
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L’été n’en finissait pas. À quand vent, pluie fine, brouillard évanescent en ce mois de novembre ?

 

Roman-photo : Automne parisien - Impressions

La nuit semblait tomber plus vite qu’à la normale, comme si chaque nouvelle journée voulait se faire plus courte que la suivante.

 

Enfin ! Les feuilles des arbres, avant même de prendre les couleurs dorées de l’automne, s’étalèrent tel un tapis sur les trottoirs et pavés de Paris.

 

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Elle s’était décidée à visiter le cimetière du Père Lachaise.

 

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Cette idée lui était venue quand deux touristes sortant du métro lui avaient demandé où se trouvait l’entrée principale du cimetière.

 

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Le cimetière du Père Lachaise ! C’est vrai ! C’était l’un des cimetières les plus visités. Les touristes confluaient des quatre coins du monde pour se rendre sur les tombes des personnages illustres qui y reposaient. Et elle, qui habitait à deux pas de là, s’y était rendue voilà si longtemps qu’elle n’en avait plus aucun souvenir.

 

Il en était ainsi des autres lieux incontournables de la capitale. Tout se trouvait à quelques minutes de chez elle, mais elle ne se rendait dans ces endroits mythiques que lorsque des amis de province venaient lui rendre visite.

 

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Habiter à Paris était pour elle de l’ordre de la réassurance : savoir qu’elle pouvait à tout moment décider de se rendre à la dernière exposition en vogue, applaudir la pièce de théâtre qui faisait salle comble… 

 

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… voir le film qui venait de sortir, aller au concert dont les critiques ne tarissaient pas d’éloges. Oui, tout cela était possible, mais elle en profitait si peu.

 

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Que faisait-elle donc de ses journées depuis qu’elle était à la retraite et plus précisément depuis septembre ? Eh bien ! pas grand-chose. Oh ! Elle quittait quelquefois son domicile le matin vers huit heures et demie pour rejoindre le métro.

 

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Il lui arrivait même parfois de sacrifier un ticket et de descendre jusque sur le quai de la station. Là, elle s’asseyait quelques dizaines de minutes.

 

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Elle regardait, satisfaite, le flot des voyageurs attendre la rame, se précipiter dedans avant que les portes ne se referment. Elle voulait juste se rappeler qu’elle avait connu cette frénésie et qu’à présent cette page était définitivement tournée.

 

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Comment avait-elle occupé son été passé à Paris ? Elle n’avait fait qu’arpenter les rues de son quartier ! Dans quel but ? Osait-elle se l’avouer ? Il lui fallait se rendre à l’évidence : elle avait cherché à recroiser cet homme qu’elle avait rencontré dans le métro un dimanche de juillet.

 

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Comment pouvait-elle l’oublier ? Chaque fois qu’elle sortait de chez elle, elle passait devant l’Atelier des Lumières, cette ancienne fonderie nouvellement transformée en lieu d’exposition. L’homme avait visité l’exposition consacrée à Klimt.

 

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Cet homme trottait surtout dans sa mémoire parce que sa démarche lui rappelait celle de son voisin de palier qui venait de déménager. Elle avait regretté son départ car elle avait un petit béguin pour lui.

 

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C’est ainsi qu’elle s’expliquait pourquoi elle lui avait dit : « À bientôt », lorsqu’il s’était brusquement levé à la station Louvre-Rivoli.

 

Elle en rougissait encore. Lui dire : « À bientôt », c’était comme lui dire : « J’ai envie de vous revoir ». Ces mots lui avaient échappé. Heureusement il n’avait pas semblé y prêter attention, tout occupé qu’il était à ne pas rater sa station.

 

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De quoi avaient-ils parlé ? À part cette exposition, elle était bien en peine de se le rappeler. Il lui semblait qu’au lieu de la regarder dans les yeux, il scrutait ses lunettes. Cela l’avait fait sourire. D’ailleurs, en sortant du métro, elle avait contemplé son reflet dans la vitrine d’un magasin ; eh oui ! ces lunettes lui allaient vraiment bien !

 

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Depuis, elle demeurait attentive à toutes les silhouettes d’hommes qu’elle venait à croiser. Elle s’arrêtait souvent à la terrasse du café qui se trouvait juste en face de la station du Père Lachaise.

 

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De là, elle pouvait facilement surveiller les allées et venues des passants. Des fois qu’il surgisse de la bouche du métro…

 

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Combien de cafés avait-elle consommés depuis ce dimanche d’été ? Et si son cœur battait parfois un peu plus qu’à la normale, c’était tout autant dû à l’effet de la caféine qu’au désir confus de revoir cet homme.

 

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Mais aujourd’hui elle allait visiter le cimetière. Près de 70 000 concessions, dont plusieurs centaines appartenant à des personnages célèbres, lui paraissaient réclamer un minimum de préparation dans l’organisation de sa balade.

 

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Elle ne pouvait se contenter comme la plupart des visiteurs de consulter les plans affichés à l’entrée du cimetière. Elle était de ces femmes qui planifient et s’était renseignée avant de pénétrer dans cet étrange espace vert, le plus vaste de Paris.

 

Et puis l’entrée principale ne lui convenait guère ; elle la jugeait trop imposante, trop froide, trop rectiligne ; elle lui préférait celle de la rue du Repos, la bien-nommée !

 

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Cela correspondait davantage à l’image qu’elle se faisait de ce jardin à l’anglaise, avec ses allées serpentantes, son aspect labyrinthique.

 

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Pour se rendre sur les tombes qu’elle avait repérées, il lui faudrait quitter parfois les grandes allées pour emprunter des sentiers plus étroits, voire se faufiler dans le dédale des sépultures.

 

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Et si elle croisait l’homme du métro… ? Oui, là, dans ce cimetière ? Mais non ! Qu’irait-il faire dans ce cimetière ? Mais elle ? Qu’allait-elle y faire ?

 

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Elle s’arrêta tout d’abord devant le monument où étaient ensevelis les restes de Héloïse et Abélard, ce couple au destin tragique. Leur amour passionnel, bravant les conventions, deviendra vite charnel ; séparés dans la vie, ils se retrouveront dans la mort.

 

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Frédéric Chopin et Michel Petrucciani : deux pianistes à la santé fragile. Un siècle et demi les séparait et ils se retrouvaient sur le même lopin de terre.

 

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Et puis l’incontournable tombe de Jim Morrison, la plus visitée du cimetière, objet d’un véritable culte. Fleurs, bougies, canettes de bière, chewing-gums mâchés et collés sur un tronc d’arbre… il n’y en avait que pour lui.

 

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Que pouvaient bien se dire ses voisins de sépulture qui voyaient passer chaque année devant leurs tombes des millions de visiteurs qui ne leur adressaient pas un seul regard ?

 

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Et tous ces autres illustres inconnus ? La vie ne leur avait réservé aucune gloire et cette injustice se poursuivait jusque dans la mort.

 

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Ne se sentaient-ils pas un peu étouffés par tous ces poètes, écrivains, musiciens, savants, hommes ou femmes politiques ? Ces morts anonymes manquaient d’air.

 

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Pourtant tous ces personnages illustres avaient bien le droit d’avoir une sépulture comme tout autre citoyen. Étaient-ils responsables du nombre de visiteurs qui venaient honorer leurs tombes ?

 

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Et que faisait-elle en ce moment sinon accroître le nombre de ces passants qui foulaient les allées du cimetière et dérangeaient le repos de ses habitants, illustres ou non ?

 

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D’autres ne semblaient pas craindre d’être dérangés ou d’apparaître ridicules ! Ainsi cette princesse russe qui avait fait édifier ce gigantesque mausolée. La légende racontait qu’elle aurait rédigé un testament où elle léguait sa fortune à qui veillerait sur son cercueil 365 jours et 366 nuits. Certains auraient tenté l’aventure… mais seraient devenus fous.

 

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Puis lui vint à l’esprit qu’il en était un qui, illustre inconnu de son vivant, était devenu l’un des morts les plus visités du cimetière. Victor Noir, journaliste inconnu, tué par accident lors d’un duel sous le Second Empire. Le sculpteur chargé de réaliser son gisant avait exagéré quelque peu la protubérance de l’attribut viril de la malheureuse victime.

 

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Deux étudiantes lancèrent une rumeur : se frotter à cette partie intime favoriserait la fertilité. De nombreuses femmes se prêtèrent à cette fantaisie. Le bronze, particulièrement lustré à cet endroit, témoignait des nombreuses sollicitations dont le gisant avait fait l’objet. Elle était tentée de sentir de ses doigts la différence entre le bronze oxydé par les années et la partie polie par la main des femmes.

 

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Les musées regorgent de statues qu’il est interdit d’approcher ; on comprend pourquoi. Mais une statue ne doit-elle pas s’apprécier par le toucher ? Au moins ne serait-elle pas la première à commettre ce qui ressemblait à un sacrilège. Elle fit un pas de plus, leva la tête pour vérifier qu’il n’y avait personne aux alentours… Et c’est alors qu’elle le vit !

 

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L’homme du métro ! Il venait de passer entre deux stèles, à dix mètres de là ; il lui tournait le dos et ne l’avait pas vue.

 

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Mais était-ce bien lui ? Cela faisait maintenant plus de trois mois qu’elle l’avait croisé dans le métro. L’image avait été si furtive. Que ce soit lui ou tout autre, il ne fallait pas qu’elle soit vue devant cette tombe.

 

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Elle se retourna aussi discrètement que possible et s’éloigna du gisant. Elle allait contourner quelques tombes avant de se rapprocher de lui. Que lui dirait-elle si c’était lui ? La reconnaîtrait-il ?

 

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Voilà ! Elle y était. Elle venait de bifurquer dans une allée et là-bas, à une trentaine de mètres, elle retrouvait cette silhouette qui lui semblait familière. L’homme ne se pressait pas ; il faisait des photos et s’arrêtait de tombe en tombe.

 

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Mais plus elle s’approchait, plus il lui fallait se rendre à l’évidence : ce n’était pas lui. Lorsqu’elle le croisa elle détourna la tête pour masquer son trouble.

 

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Quatre mois bientôt que cet homme avait fait irruption. La place qu’il avait occupée brièvement restait vide. Il lui fallait se résoudre à la remplacer par autre chose que ce vide. Cela commençait par lui dire : « Adieu ».

 

 

Texte et photos de Daniel Faugeron – novembre 2018


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